Voici une semaine qu'il est parti. Depuis je le vois partout où il pourrait être s'il était encore vivant. Forest, compagnon autant que collègue. Fragile autant que robuste et joyeux. Il n'avait pu officier comme chien-guide, une atopie au plus haut niveau l'en empêchait. Je suis devenu·e son humain·e en l'adoptant en 2012. Depuis je le protégeais autant qu'il s'engageait auprès de moi. Toutes les personnes qui ont rencontré Forest témoignent de son aura et de sa joie de vivre. Au début, il fallait gérer l'atopie, puis on a trouvé le traitement miracle (Apoquel). De belles années devant nous et en octobre 2019, l'accident cardiaque. On lui donnait maximum un an, il aura vécu trois ans. Son coeur aura tenu. C'est une sciatique qui aura eu raison de lui. Depuis le 6 mars, sa mobilité s'amoindrissait jusqu'à la paralysie survenue le 28 mars dernier. J'étais rationnellement prêt·e. Mais depuis, son absence est tellement difficile. Je sais bien que le temps fera son oeuvre. Le deuil.  Je voulais juste vous dire qu'il est parti et qu'il me manque après tant de choses vécues et partagées ensemble.

Je voulais aussi témoigner que Forest est parti parce que je l'ai décidé. Pour abréger sa souffrance. Mais laquelle? Celle que je ne pouvais mesurer et dont tou·tes les professionnel·les me disaient qu'elle pouvait être insupportable et qu'un chien paralysé, ne pouvant vivre sa vie de chien, c'était de l'acharnement incompatible avec la raison. Il aura fallu donc que je lui donne l'euthanasie pour son bien-être. Dilemme paradoxal. Il aura fallu abréger la vie de celui que j'aime. Je l'ai donc fait s'endormir. Lui qui était né de la main de l'humain, mourrait de celle de son humain·e.

Je prends aujourd'hui toute la mesure du spécisme qui m'amena à cette situation. Décider de faire naître et décider de faire mourir. Elevages, client·es, vétérinaires et autres services à la personne animale, tout ce système agit et cadre la relation entretenue entre deux êtres d'espèces différentes. Animal de compagnie... Forest, belle personne, moi, responsable. Je ne suis pas certain·e d'être triste aujourd'hui uniquement de l'avoir perdu. Je le suis aussi de me rendre compte en tant qu'antispéciste, bien que l'ayant adopté, j'ai contribué aussi au spécisme. Je sais bien que l'époque n'est pas encore venue où nous saurons en finir avec des millénaires d'apprivoisement qui ont créé ce lien entre les personnes animales et nous. Mais je sais aujourd'hui avec la disparition de mon compagnon que j'ai accompagné sa fin de vie en fonction de conceptions anthropocentrées dans lesquelles mes certitudes ne pouvaient être que des projections. C'est en fonction de mon incapacité à pouvoir l'aider plus loin que j'ai du décider de mettre fin à sa vie. Or Forest avait toute sa conscience. Ses intentions et son desir étaient intacts. Les conseils que j'ai reçus m'ont mis dans une logique de fin de vie que j'ai décidée par pouvoir sur autrui. Je ne me remets pas de cette absence de consentement. J'ai donné la mort à mon ami qui s'est endormi en confiance la tête posée sur mes jambes, apaisé par mes caresses. Nous avions un lien puissant. Il est absent, il me semble l'avoir trahi.

Je rêve d'un monde où les humain·es que nous sommes sauront ne plus faire naître de personnes animales pour accompagner leurs vies de solitude. Où nous laisserons ces personnes ne pas avoir à vivre au risque de se trouver déclassées ou abandonnées... A ce point même qu'il faut des refuges, des fourrières comme il faut des orphelinats quand celleux qui donnent la vie l'abandonnent. Un monde où les humain·es sauront mieux communiquer entre elleux sans plus avoir à exploiter les autres espèces pour exister confortablement.

Mon cher Forest, je te remercie de ta présence durant toutes ces années. Tu n'avais rien demandé, nous nous sommes rencontré·es et avons tendrement existé ensemble. Je ne suis pas fièr·e d'avoir endormi ta conscience. I miss you.

 

 Martha