Temps d'écoute : 10'50''
Pour sa première chronique, Florence Dellerie se présente à vous et vous indique les champs de son intervention mensuelle sur NONBI.
Version écrite
Sommaire
1 - Remise en contexte
(Rencontre avec NONBI)
2 - Présentation perso
(Qui suis-je ?)
3 - Ce dont je vais parler
(Êtres sentients au sens large + définition du mot sentience1)
4 - La pépite
(Sentience !, par Estiva Reus)
5 - Conclusion + citation de fin
1 - Remise en contexte
Bonjour à tous et à toutes ! Cette chronique est la toute première que je présente sur NONBI Radio, que je remercie, au passage, pour son invitation et pour sa confiance. Elle s'intitule "La méta-chronique", tout simplement parce que c'est une chronique qui parle... de mes futures chroniques !
Mon premier contact avec NONBI, donc, c'était en octobre 2018, au Contre Sommet de l'Élevage, où j'ai été invitée à Clermont-Ferrand par l'association Earth Resistance pour donner l'une de mes conférences traitant de bienveillance et de convergence des luttes dans le milieu animaliste.
Petite parenthèse, je vous invite à découvrir cette association qui a pour objectif de soutenir les luttes pour la justice sociale et environnementale, via des actions de désobéissance civile. Leur propos va bien au-delà des questions relatives à l'animalisme. Leur approche, qui se concentre sur les véritables responsables des systèmes délétères à l'œuvre dans notre société - donc multinationales, industries de production de chair animale, etc. - me paraît être une bonne initiative dans un monde militant qui a tendance à être très axé sur la conversion individuelle au véganisme, et sur le principe de "consomm'action", qui pose de nombreux problèmes. Mais on reparlera de tout ça plus en détail dans une prochaine chronique !
J'ai rencontré lors de cet événement beaucoup de personnes engagées et passionnantes. Parmi elles, Neo, qui a tendu le micro à Marc Pion et à moi-même, afin qu'on puisse discuter en face à face dans le chaleureux studio mobile de NONBI Radio.
Mais qui est Marc Pion ? Eh bien, c'est un ex-éleveur laitier reconverti au maraîchage, également venu présenter une conférence et échanger avec les militants et militantes antispécistes - saluons la démarche, qui n'est pas forcément évidente au premier abord ! Je reparlerai d'ailleurs dans une future chronique des bénéfices qu'on peut tirer de la discussion avec des personnes dont on pense parfois - et parfois un peu vite, surtout - qu'elles sont des "ennemies" entre guillemets. Le sujet vaut la peine qu'on s'y penche.
Bref, tout ça pour dire que ma rencontre avec NONBI Radio a eu lieu dans des conditions particulièrement constructives. Alors quand Neo m'a offert carte blanche pour m'exprimer dans cette chronique, j'ai sauté sur l'occasion.
2 - Présentation perso
Pour cette première, il m'a semblé nécessaire de me présenter. Je suis donc autrice et illustratrice scientifique indépendante, spécialisée dans les illustrations naturalistes et documentaires. Ce qui signifie que je passe une bonne partie de mes journées à dessiner des animaux, des végétaux, des champignons, des minéraux et des schémas destinés à illustrer des livres, des magazines, des publications scientifiques, des guides d'identification de terrain, etc. Et parfois aussi, à dessiner sous divers angles des crottes de lapin ; ça fait partie du métier.
Je suis aussi militante égalitariste. Ce qui signifie que j'accorde un intérêt certain à la philosophie morale et aux questions éthiques, et que je milite pour une égale considération des intérêts de tous et de toutes (je reviendrai sur ce principe un peu après). Je me consacre plus particulièrement à l'éthique animale. J'ai crée récemment le site Questions Animalistes, qui regroupe mon travail sur ce sujet. Je vous invite à y faire un tour ; il contient plus de 200 documents qui peuvent être utilisés librement et gratuitement : fiches d'informations, articles, photos, visuels, etc.
Une partie de mon travail est consacrée aux droits humains, aussi, et incite notamment à plus de solidarité vis-à-vis des personnes en situation de souffrance, d'exclusion ou d'oppression.
Autre élément important, enfin : j'ai un grand attachement à la pensée critique et milite sous un angle qui se veut rationnel, en m'appuyant sur des faits, donc sur des données scientifiques, autant que possible. Vous ne m'entendrez jamais, par exemple, diffuser l'idée qu'être végane permet à coup sûr de vivre 120 ans, ou que les êtres humains sont naturellement végétaliens, pour la bonne et simple raison que c'est faux.
Voilà pour ma petite présentation !
3 - Ce dont je vais parler
Ce dont je vais parler dans cette chronique, c'est des êtres sentients. Comme le mot "sentience" n'est pas encore intégré aux dictionnaires français, il me semble important de le définir, parce que c'est un concept des plus importants, peut-être le plus important qui soit, en fait.
La sentience, c'est la capacité à avoir une vie mentale et à éprouver des expériences subjectives. Cette notion désigne le fait que certains êtres vivants ont des perceptions, des émotions, des buts et une volonté qui leur sont propres. Les êtres sentients sont capables de ressentir diverses émotions : envie, frustration, joie, peur, satisfaction... Je ne vous donne pas ici une liste exhaustive ; vous avez compris.
Beaucoup d’animaux sont sentients : cochons, crabes, dauphins, êtres humains, pieuvres, poissons, poules, serpents, par exemple. Pour d’autres, comme le corail, les bivalves ou les éponges, le doute demeure car ils ne disposent pas forcément du matériel biologique nécessaire.
Petite précision : l’adjectif “sentient” est plus précis que le terme “sensible” qu'on emploie souvent quand on parle des animaux, mais qui peut ne désigner que le fait d’être susceptible de réagir à un stimulus extérieur (on parle d’“ouïe sensible” ou de “surface sensible”, par exemple) ; ou encore évoquer une certaine forme d’émotivité particulière (on peut par exemple dire d'une personne pleurant devant un film émouvant qu'elle est "très sensible").
La sentience implique que les êtres sentients ont un intérêt à vivre, à rechercher le plaisir, à préserver leur intégrité physique et à ne pas souffrir. Dans le domaine de l’éthique, le concept de sentience est donc capital : c’est sur ce critère que se base le principe de considération morale. Une paire de lunettes, un sapin, un caillou, une carotte ou un téléphone, ne peuvent pas ressentir de nuisance. Il n'y a pas de raison de faire preuve de considération morale envers ces choses.
Les nuisances extrêmes causées aux autres animaux, la négation de leur individualité et le refus de leur émancipation sont néanmoins toujours la norme. On entend encore majoritairement - dans les colonnes de certains journaux, sur les plateaux de télévision, sur des blogs faisant la promotion de la consommation de chair, etc. - que les animaux seraient des êtres d'instinct qui passent leur temps, de façon mécanique, à se nourrir ou à s'accoupler, principalement. Alors que les êtres humains, tout au contraire, seraient des êtres de raison, libres et respectables car dotés de libre-arbitre ou d'une "âme". Et parce que leur grande intelligence les a rendus capables, entre autres, de produire un certain nombre de choses compliquées ou d'inventer des concepts qui ne sont pas indispensables à leur survie (comme les peintures abstraites), voire totalement inutiles (comme les cuvettes de toilette en or), ou même carrément nuisibles (comme les livres de Paul Ariès).
Cette dichotomie est déjà énoncée chez Artistote qui pense que les êtres humains sont seuls à disposer de raison. Ca ne date pas d'hier... De même, la théorie des animaux-machines, proposée par Descartes au XVIIe siècle, et soutenue notamment par Buffon ou Malebranche, énonce que les autres animaux sont des genres d'automates réagissant uniquement par réflexe. Plus personne ne peut aujourd'hui soutenir cette idée sans révéler son ignorance ou un certain dogmatisme. C'est le même type de croyances en l'absence de conscience qui a fait que, jusque dans les années 1970, on opérait énormément de bébés humains sans aucune anesthésie. Eh oui !
Mais cette vision du monde a montré ses limites, en dévoilant la somme considérable de souffrances qu'elle induit. On sait aujourd'hui que la vie mentale des autres êtres sentients est beaucoup plus riche qu'on le pensait. On sait que d'autres animaux peuvent compter, utiliser et modifier des outils, innover, mentir, apprendre et utiliser la langue des signes pour communiquer avec les êtres humains, transmettre leurs apprentissages aux générations suivantes, consommer certaines plantes bien précises dans le but de se soigner ; se remémorer des événements de leur passé, ou faire preuve de métacognition (c'est-à-dire d'évaluer leurs propres connaissances). Ou qu'au sein d'une même espèce, certains groupes ont des accents régionaux, comme c'est le cas chez les cachalots. On sait que les autres êtres sentients souffrent, veulent prendre du plaisir, qu'ils aiment jouer - y compris à l'âge adulte - ; qu'ils font des choix, qu'ils ont des personnalités uniques. On sait aujourd'hui que nous pouvons nous passer de consommer des protéines d'origine animale pour vivre en bonne santé, parce que nous savons cultiver les bactéries produisant la vitamine B12, absente du règne végétal. On sait que cette dichotomie entre "êtres de raison" et "êtres de nature" ne repose sur rien de rationnel. Sur rien de factuel. On envisage donc aujourd'hui, aussi, les responsabilités qui découlent de toutes ces connaissances. Et on tend à mesurer davantage, surtout, l'étendue de notre ignorance.
Au fil des siècles, des décennies, des années, l'idée pourtant bien ancrée que les êtres humains méritent une considération infiniment supérieure aux autres animaux se craquèle un petit peu. Le suprémacisme humain, qui fait d'Homo sapiens le seul animal digne de considération morale, commence à chanceler. Et pour cause : aucun fait rationnel ne peut le justifier.
En 1789, le philosophe Jérémy Bentham, par exemple, expose cette idée dans "Introduction aux principes de morale et de législation", avec cette célèbre phrase qui évoque les animaux et que vous avez peut-être déjà lue ou entendue. Je cite : “La question n'est pas “peuvent-ils raisonner ?”, ni “peuvent-ils parler ?”, mais “peuvent-ils souffrir ?”. Ce qui énonce que la capacité à ressentir une nuisance doit suffire pour bénéficier d'une protection et donc, de droits fondamentaux.
Plus récemment, en 2012, des neuroscientifiques signent la Déclaration de Cambridge sur la Conscience, énonçant : “L'absence de néocortex ne semble pas empêcher un organisme d'éprouver des états affectifs. Des données convergentes indiquent que les animaux non-humains possèdent les substrats neuroanatomiques, neurochimiques et neurophysiologiques des états conscients, ainsi que la capacité de se livrer à des comportements intentionnels. Par conséquent, la force des preuves nous amène à conclure que les humains ne sont pas seuls à posséder les substrats neurologiques de la conscience."
Attention, il ne s'agit pas de dire que le degré d'intelligence est, en soi, un critère acceptable pour accorder de la considération morale à un individu : si les individus jugés les plus intelligents pouvaient s'en prendre à ceux jugés moins intelligents, certains êtres humains aussi seraient certainement en danger. Non, il s'agit de mieux comprendre, de prendre du recul, d'interroger la domination, de remettre en question des schémas devenus obsolètes, de changer de paradigme.
L'éthologie, science étudiant les comportements des animaux, a beaucoup contribué à changer la donne. Des enquêtes réalisées par les militants, militantes et les associations animalistes - par exemple les vidéos tournées clandestinement par L214 dans les élevages ou les abattoirs - ont mis récemment en lumière (et continuent de mettre en lumière) la façon dont les autres animaux sont traités par les êtres humains. On se rend compte, chaque jour un peu plus, de la somme cauchemardesque de souffrances engendrées par nos idéologies. Un accès facilité à l'information permet également, aujourd'hui, de savoir, de dénoncer, de réclamer un monde moins violent.
Tout ça pour dire que, ce que je vais tenter de faire avec cette chronique, c'est d'exposer certaines réflexions qui pourraient se résumer par le biais d'un dicton bien connu : "avant tout, ne pas nuire". Voilà pour le contenu.
4 - La pépite
À chaque fin de chronique, je vous parlerai, en plus, d'une petite "pépite", c'est-à-dire de ce qui m'a particulièrement intéressée ou touchée : livre, vidéo, documentaire, artiste ou autre ; en lien avec le sujet abordé dans la chronique.
Cette toute première pépite, c'est le petit texte "Sentience !" (avec un point d'exclamation) écrit par Estiva Reus et publié dans le n°26 des Cahiers Antispécistes (celui de novembre 2005). Il est facile à retrouver et à lire sur Internet, et donne en quelques lignes une approche du concept de sentience et de ses implications.
5 - Conclusion + citation de fin
Voilà, c'est la fin de cette première chronique ! Merci à tous et toutes d'avoir pris le temps de m'écouter. Je terminerai avec cette citation de Françoise Sagan : " Nous sommes peu à penser trop ; trop à penser peu". Rendez-vous le mois prochain pour une nouvelle chronique. Et d'ici là, prenez soin de vous et des autres !